Don Quixote loosing his mind while reading chivalry books

[Archive] 1805-2005 : L’entretien

Depuis la publication du site dans sa première version, les visiteurs d’arimathie.org ont fait parvenir à l’équipe éditoriale un nombre important de questions, de réflexions ou de remarques. A l’occasion du Bicentenaire de l’Ordre, frère Pierre-Philippe de Deuxchesnes, Régent de la fraternité, a accepté d’y répondre au cours d’un entretien diffusé en quatre parties, du 13 au 16 mai 2005. Nous en proposons ici la version complète.

Depuis la publication du site dans sa première version, les visiteurs d’arimathie.org ont fait parvenir à l’équipe éditoriale un nombre important de questions, de réflexions ou de remarques. A l’occasion du Bicentenaire de l’Ordre, frère Pierre-Philippe de Deuxchesnes, Régent de la fraternité, a accepté d’y répondre au cours d’un entretien diffusé en quatre parties, du 13 au 16 mai 2005. Nous en proposons ici la version complète.


LuNa : Frère de Deuxchesnes, vous portez le titre de Régent de l’Ordre de Saint Joseph d’Arimathie que signifie ce titre et quelles fonctions recouvre-t-il ?

PPdDC : Par définition le Régent est celui qui exerce les pouvoirs régaliens lorsque le souverain ou son héritier légitime sont dans l’incapacité de les assumer. Ainsi, le régent de l’Ordre exerce symboliquement, au sein de l’Assemblée de Fraternité, les pouvoirs généralement dévolus au roi Arthur lorsqu’il présidait aux destinées de la Table Ronde.

LuNa : Le choix du terme signifierait-il que vous attendez le retour du Roi ?

PPdDC : N’est-ce pas une des promesses récurrentes des textes fondateurs ? (sourire)

LuNa : Plus concrètement, pouvez-vous préciser la nature de la charge ?

PPdDC : Pour les détails je vous renvois au texte des Constitutions. Hors la présidence des tenues régulières le Régent, assisté de son Conseil, assure la permanence des institutions et la cohésion de l’Ordre lorsque les autres chevaliers sont dispersés sur les « chemins de la Quête ». En outre, les officiers constituent traditionnellement le conseil d’administration de la Fondation Rochenoires, gestionnaire du patrimoine de l’Ordre. Cette dernière fonction est extrêmement « chronophage ».

LuNa : Le dimanche 15 mai, fête de la Pentecôte, l’Ordre célébrera son Bicentenaire lors d’une Assemblée de Fraternité exceptionnelle. Quel est votre état d’esprit à la veille de cet évènement ?

PPdDC : En cette occasion plus qu’en toute autre, je ressens l’immense fierté d’être le dernier maillon d’une chaîne constituée d’hommes exceptionnels, unis par une même foi, un même idéal, une même conception de l’univers, de l’humanité et de son destin. Ce sentiment engendre la conscience impérieuse d’une responsabilité : transmettre un héritage et assurer la pérennité de l’Ordre quelques soient les questions que le monde actuel nous pose. Le questionnement sur le sens de la vocation chevaleresque au XXIe siècle sera d’ailleurs au centre des travaux de l’Assemblée ce dimanche.

LuNa : A ce sujet, que répondez-vous aux visiteurs qui estiment que la chevalerie revendiquée par l’Ordre appartient à un folklore un peu désuet ?

PPdDC : Je suis piètre cavalier, tireur médiocre et contrairement à ce que certains semblent croire, ma garde-robe ne regorge pas de longues capes blanches frappées de la croix templière. Plus sérieusement, le dialogue qu’entretient l’Ordre avec le Cycle arthurien est de nature symbolique. Symbole envisagé comme incarnation du sacré dans un langage intelligible par l’homme d’aujourd’hui. Lorsque saint Paul décrit l’armure du croyant dans son Épître aux Éphésiens, il n’évoque évidemment pas quelques pièces de métal mais la Foi, l’Esprit, la Parole, la Justice et la Vérité. De même quand l’Église identifie le peuple des chrétiens à l' »Israël spirituel » nous entrons dans un jeu de correspondance qui dépasse largement le cadre de l’interprétation littérale. La Quête du Graal est donc avant tout le cheminement de l’Homme à la recherche d’une dimension spirituelle qui lui échappe trop souvent et qui pourtant constitue une part essentielle de son être. La chevalerie célestielle, si magnifiquement décrite dans le cycle du Lancelot-Graal, n’est donc guerrière que dans le mesure ou elle se consacre à l’abolissement de tous les obstacles s’opposant à la réalisation de son objet fondamental : la rencontre intime entre la créature et son Créateur. Vous l’aurez compris, les combats de l’Ordre d’Arimathie sont de nature éminemment spirituelle et éthique. En ce sens les propositions relayées par les membres de la fraternité restent parfaitement en phase avec les aspirations de leurs contemporains.

LuNa : Vous parliez tout à l’heure d’héritage à transmettre en faisant, je suppose, référence à la doctrine de l’Ordre. Ce sujet a déjà été effleuré sur ces pages, pourriez-vous préciser le contenu de cet enseignement ?

PPdDC : L’exercice que vous me proposez est particulièrement délicat. Parce que l’enseignement dont vous parlez se vit autant qu’il s’apprend, tout exposé théorique ne pourrait être que réducteur.

LuNa : C’est pourtant ce qu’attend un grand nombre de nos visiteurs.

PPdDC : La doctrine de l’Ordre s’est construite autour de deux axes majeurs : la pensée mystique du comte de Rochenoires qui nous a apporté le cadre initiatique et symbolique sur lequel se fonde l’enseignement de l’Ordre et sa rencontre, au début du XXe siècle, avec l’existentialisme chrétien développé par Soren Kierkegaard.

Procédons par ordre chronologique inverse si vous le voulez bien. La question initiale du philosophe danois est : comment puis-je en tant que sujet existant accéder à une relation avec Dieu ? Pour y répondre il est d’abord nécessaire de comprendre les conditions concrètes d’existence de l’individu, c’est-à-dire « de me comprendre moi-même dans l’existence ». Si l’existence humaine est ainsi placée au centre de l’explicitation philosophique la question se pose alors : qu’est-ce que l’homme ? Pour Kierkegaard l’homme « est une synthèse d’infini et de fini, de temporel et d’éternel, de liberté et de nécessité, bref, une synthèse, un rapport entre deux choses. » Mais il n’est pas encore un moi, car : « le moi est un rapport qui se rapporte à lui-même, ou est cette propriété qu’a le rapport de se rapporter à lui même. » L’homme ne conquiert alors son moi qu’en se rapportant de façon consciente à la synthèse de son être.

LuNa : L’être-moi n’est donc pas simplement donné à l’homme ?

PPdDC : Non, c’est une tâche dont la réalisation est confiée à sa liberté.

LuNa : Mais cette liberté n’évacue-t-elle pas la question initiale portant sur la relation du sujet existant avec Dieu ?

PPdDC : Là encore je répondrai par la négative. Il est possible que l’homme entretienne un malentendu à l’égard de sa synthèse, et manque son moi de façon consciente ou inconsciente. Kierkegaard désigne cet état comme celui de désespoir et décrit les différentes formes du refus d’être soi-même. Comme l’homme ne s’est pas créé lui-même comme synthèse, ce malentendu doit être situé dans la perspective de la relation a Dieu. Telle est d’ailleurs la définition du péché : ne pas vouloir être soi-même devant Dieu.

LuNa : Comment éviter ou dépasser ce malentendu ?

PPdDC : Le philosophe décrit le cheminement de l’individu vers la foi, dans laquelle l’homme « se fonde de façon transparente dans la puissance qui l’a posé », en définissant les différents stades de l’existence. C’est précisément ici que l’existentialisme de Kierkegaard rejoint le « schéma » initiatique posé par notre fondateur.

LuNa : Stades philosophiques et quête initiatique, comment la pensée kierkegaardienne structure-t-elle l’intuition des fondateurs de l’Ordre ?

PPdDC : C’est là que ma tâche se complique (sourire) ! Passons en revue le cheminement de l’individu vers la foi. Au stade esthétique, l’homme vit dans l’immédiateté, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas encore choisit en tant que moi. Il vit dans et de l’extérieur, dans et du sensible, selon la devise : « il faut jouir de la vie ». Perceval au début du roman de Chrétien de Troyes en est une bonne illustration : le héros est un adolescent simple et ignorant  il a grandi dans le silence de la forêt, où s’était retirée sa mère, laquelle a perdu son mari et ses fils aînés dans des combats de chevalerie. Elle a voulu tenir son dernier fils à l’écart, pour le préserver des risques mortels, et lui vouer tout à son aise un amour jaloux. Perceval ignore tout du monde, de la vie, de sa condition, il ne connaît pas même son nom. Ce stade correspond pour l’Ordre au monde profane. Mais comme dans la réalisation de cette forme d’existence l’homme dépend de l’extérieur, de ce qui n’est pas en son pouvoir, le sentiment fondamental de l’existence esthétique, bien qu’inavoué, se révèle comme désespoir à l’idée que les conditions de celle-ci pourraient lui être enlevées.

LuNa : Le moteur de toute démarche philosophique serait donc le désespoir de l’homme écartelé entre fini et infini ?

PPdDC : Moteur de la démarche philosophique mais aussi de la Quête. Cette prise de conscience correspond au départ de Perceval pour Camaalot, et au grade initiatique d’écuyer. Le saut dans le stade éthique a lieu lorsque, dans son désespoir, l’individu se choisit soi-même : « […] puisque je ne puis choisir absolument que moi-même ; ce choix absolu de moi-même constitue ma liberté, et c’est uniquement par cet acte que j’ai posé une différence absolue, celle entre le bien et le mal. » L’existence éthique s’est choisie comme être-soi et a ainsi gagné l’indépendance à l’égard de l’extérieur, elle est sujet de la décision, avec elle la vie acquiert sérieux et continuité. Perceval a atteint Camaalot et a été adoubé par Gornemant de Goort dont il reçoit les préceptes. L’écuyer accède au grade de chevalier profès, avec le « saut » dans le stade éthique, la Quête peut débuter.

LuNa : Ce stade peut-il conduire a un plein épanouissement ?

PPdDC : Non, car l’homme de l’éthique reconnaît, à travers la possibilité de la faute, qu’il n’est pas en possession des conditions d’une vie éthique idéale, parce qu’il est dominé par le péché. Toute la Quête doit donc tendre vers un autre stade, le stade religieux, une transition de Camaalot à Corbénic, du chevalier profès au chevalier gardien. Selon la conception chrétienne, l’homme qui se reconnaît pécheur, comprend qu’il ne peut pas se libérer seul du péché. Dieu, et uniquement lui, fournira l’accès à la vérité : le contenu de la foi est le paradoxe selon lequel l’éternel est venu dans le temps, c’est-à-dire que Dieu s’est fait homme.

LuNa : Doit-on en conclure que l’homme est incapable d’accéder seul à la vérité ?

PPdDC : Puisque Dieu a dû aller vers les hommes pour leur donner la vérité, nous devons effectivement conclure que l’homme est incapable d’y accéder par lui-même, et donc qu’il doit recevoir de Dieu la condition de ce dernier saut. Dans la foi l’homme se fond sans réserve en Dieu. Nous récusons radicalement toute tentative de rationalisation de la foi et, pour nous, le sentiment religieux demeure l’expression d’un hiatus infranchissable entre nature et esprit, temps et éternité. Avec le saut de la foi Galaad, Perceval et Bohort atteignent Corbénic, la révélation du Graal, l' »union mystique qu’offre à ses fidèles sergents le Créateur de toutes choses ». Commence alors la navigation de l’élu vers Sarraz, mais ceci est une autre histoire.

LuNa : La Quête se décompose donc en trois étapes : une première transition de la forêt primordiale à Camaalot, du grade d’écuyer à celui de chevalier profès, du stade esthétique au stade éthique ; une seconde transition de Camaalot à Corbénic, du chevalier profès au chevalier gardien, du stade esthétique au stade religieux et une troisième transition de Corbénic à Sarraz, qui demeure de l’ordre de l’indicible.

PPdDC : Trois villes, trois grades, trois stades.

LuNa : Quittons les « hautes sphères » de la doctrine si vous le voulez bien. En décembre 2003 le Conseil de Régence prenait une suite de résolutions modifiant de fond en comble la politique de communication de l’Ordre, regrettez-vous cette décision ?

PPdDC : Non, pas du tout ! Les Constitutions fixent deux types d’objectifs : personnels (Code de chevalerie) et collectifs, parmi ces derniers – le texte est très clair -, il est de notre devoir de promouvoir les idéaux chevaleresques de l’Occident chrétien et de favoriser l’étude et la compréhension de toutes les œuvres liées au cycle arthurien. D’après l’interprétation que nous en faisons, ce prescrit ne peut s’appliquer aux seuls membres membres de la fraternité.

LuNa : Vous vous défendez pourtant de tout prosélytisme.

PPdDC : Je n’ai pas parlé de recrutement, juste de sensibilisation et de connaissance.

LuNa : La publication sur le web d’arimathie.org a été rendue possible grâce à l’application de cette nouvelle politique. Après 6 mois d’existence sous sa forme actuelle, quelle évaluation faite vous du site et de son fonctionnement ?

PPdDC : L’examen des statistiques prouve clairement que, malgré la nature très « pointue » des sujets qui y sont abordés, le site a trouvé son public. Public qui se développe d’ailleurs au fil des mois. Un indice probant du degré de satisfaction des visiteurs peut être trouvé dans la moyenne élevée des pages consultées par visite qui s’avère largement supérieure aux indices de référence.

LuNa : Avez-vous des exigences pour l’avenir ?

PPdDC : Pas d’exigence, tout au plus des souhaits, je laisse les exigences à mon successeur (sourire). Le sujet a déjà été abordé sur le forum mais j’imagine qu’un internaute lambda s’égarant sur nos pages doit avoir quelques difficultés à cerner d’emblée la ligne éditoriale du site. Je pense également utile de restructurer certaines sections notamment au niveau de la lisibilité et de l’ergonomie. Enfin il me semble que l’interactivité n’est pas assez favorisée, le système de gestion de contenu WordPress permet de véritables échanges avec nos visiteurs, il faut encourager leur participation et pourquoi pas leur contribution au contenu.

LuNa : Doit-on comprendre que vous n’êtes pas candidat à votre succession ?

PPdDC : Non, ayant l’honneur d’être appelé au Collège magistral et même si aucune disposition régulière n’interdit à un chevalier gardien d’appartenir au Conseil de Régence, le cumul des deux charges ne me paraît pas souhaitable.

LuNa : D’après les questions que nous avons reçues, le rôle du Collège Magistral au sein de l’Ordre reste assez obscur. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

PPdDC : L’existence du Collège repose sur la nature très particulière du grade de chevalier gardien qui coïncide, nous l’avons vu, avec le « saut » de la foi, l’arrivée à Corbénic, la vision du Graal. Il s’agit d’une expérience terriblement intime, dont on peut certes témoigner, mais qui constitue également le début d’un autre voyage, celui de Galaad vers Sarraz. Les travaux du Collège portent précisément sur cette dernière transition, incommunicable à ceux qui n’ont pas fait la rencontre qui l’initie. Voila pourquoi toute la matière doctrinale liée au grade de gardien doit être réservée aux membres du Collège.

LuNa : L’élévation au grade de chevalier gardien repose sur la conviction du postulant d’être digne d’un tel honneur, puisque l’initiative de la candidature lui revient. Compte tenu de ce que vous venez de nous dire, ne s’agit-il pas là d’un total manque d’humilité.

PPdDC : Refuser de répondre à l’appel insistant de l’Esprit serait manquer d’humilité.

LuNa : A l’heure où nos visiteurs lirons ces lignes l’Ordre se sera donc choisit un nouveau Régent.

PPdDC : Un nouveau Conseil de Régence à tout le moins. Il n’est pas précisé de délais pour que celui-ci appelle quatre de ses membres aux charges de Régent, Chancelier, Connétable et Trésorier.

LuNa : Pour conclure cet entretien, quel message souhaitez-vous adresser aux membres de l’Ordre ?

PPdDC : En toutes circonstances, sachez ce qu’il convient de faire et faites le, quoi qu’il en coûte.

LuNa : Et à nos visiteurs ?

PPdDC : La chevalerie véritable, la noblesse de l’esprit et du cœur, n’est pas l’apanage des seuls membres de l’Ordre d’Arimathie. Il incombe à chacun d’entre vous de s’approprier les valeurs qui fondent notre démarche.


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